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La Vindicte ElliptiqueQatar: pourquoi les excuses du député Karl Olive ne passent pas

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Sport/Qatar/Foot/Karl Olive
Aujourd'hui à 14h52

Qatar: pourquoi les excuses du député Karl Olive ne passent pas

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Karl Olive a affirmé qu’il y a eu plus de 300 morts lors de la construction de la tour Eiffel en 1887. L’argument était destiné à justifier la tenue de la coupe du monde au Qatar, malgré les (au moins) 6 500 morts sur les chantiers de construction liés à l’événement, d’après une estimation du Guardian de février 2021. Critiquer par la Nupes parce qu’il n’y a pas eu 300 morts mais 1 mort lors de la construction du monument parisien – le mort en question est Angelo Scagliotti – le député a depuis reconnu son erreur et a affirmé sur Twitter : « cet exemple était malvenu, je m’en excuse ».


Avant de revenir sur son argument douteux et ses excuses ratées, et pour qu’on comprenne bien ce qui est caché ici.


Madhu Bollapally avait 43 ans quand il est mort au Qatar, son corps retrouvé par son colocataire, sans vie, au sol, après une journée de travail au soleil. Sa femme Latha et son fils de 13 ans Rajesh ne comprennent pas. « Il n’avait aucun problème de santé, tout allait bien », a dit Rajesh au Guardian, le quotidien britannique qui a suivi de très près le scandale de la coupe du monde. Comme lui des milliers de travailleurs sont morts officiellement de « morts naturels », mais on sait qu’ils sont morts de fatigue à faire un travail harassant sous la chaleur.


De grands projets d’infrastructure ont été construits au Qatar depuis que la FIFA en 2010 a choisi ce pays pour la Coupe du monde de football 2022. Un nouveau métro, des stades, des hôtels, un aéroport, le Qatar s’est jeté dans un projet colossal. Or une enquête d’Amnesty International a dévoilé que 15 021 travailleurs – uniquement des migrants, pour la plupart indiens, népalais, bengalis, pakistanais – ont péri sur des chantiers au Qatar entre 2010 et 2019, sur des projets avec ou sans lien direct avec la Coupe du monde. Dans 70 % des cas, morts sans explication.

« Quand des hommes relativement jeunes et en bonne santé meurent soudainement après de longues heures de travail par une chaleur extrême, cela incite à s'interroger sur la sécurité des conditions de travail au Qatar. »

Extrait de l’enquête d’Amnesty International


Ce qui est frappant, avec le cas de Madhu Bollapally, c’est cette manière de cacher complètement les causes réelles, en parlant de « mort naturel ». C'est ce que fait le Qatar dans 70 % des cas. Et c’est ni plus ni moins ce que fait Karl Olive avec son histoire de tour Eiffel, dont le sous-entendu est : sur les chantiers il y a des morts, vous n’êtes pas choqués en France (sic), c’est parce qu’on n’y peut rien (sic), donc c’est comme ça, mourir au travail, c’est inévitable, c’est naturel.

Sauf qu’on y peut quelque chose, ça s’appelle le droit du travail.


On y peut quelque chose parce qu’on peut comprendre ce qui se passe au Qatar.



« Plus tu en sais, plus tu vas t’inquiéter »




Shankar Yadav sur le téléphone de sa femme Sangita Kumari Yodav. Photographie Pete Pattison / The Guardian


À 28 ans, Shankar Yadav est mort après l’effrondrement d’un échaffaudage de 11 étages à Doha. C’est toute une famille, des amis et une communauté au Népal qui sont à jamais bouleversés. Sangita Kumari Yadav, sa femme depuis peu, raconte qu’avant sa mort elle et lui s’appelaient et parlaient pendant des heures toutes les nuits. Protecteur, il refusait de lui parler de son travail : « plus tu en sais, plus tu vas t’inquiéter », lui disait-il.



« L'attitude des Qataris, c’est khalli balli : ça veut dire, “je m’en fous”. »




Depuis le début des travaux pour la coupe du monde, le nombre de travailleurs étrangers a explosé. On est passé de 1,2 millions à plus de 2 millions. Il y a 4 ans, le Qatar s’est engagé dans un processus d’amélioration des conditions de travail avec l’OIT (Organisation Internationale du Travail), qui a ouvert des bureaux à Doha. Des mesures ont été prises, telles qu’un salaire minimum de 274$ (hors accomodations et nourriture, fournies et payées par l’employeur), la possibilité pour un ouvrier de changer d’emploi ou de partir du pays, et des aménagements dans le travail pendant les mois de très fortes chaleurs – le Qatar est un pays très chaud et humide, particulièrement l’été, et ce sont donc des questions essentielles. Des mesures insuffisantes, qui arrivent trop tard, et qui sont encore peu appliquées, particulièrement dès qu’on s’éloigne des constructions immédiatement associées à la Coupe du monde, dénonce Amnesty avec 8 autres organisations.



Les logements fournis par les employeurs offrent peu d'espace, sont insalubres et les foyers sont surpeuplés. Photographie Amnesty International.


On est encore loin de mesures qui auraient permises d’éviter la mort de Shankar Yadav. Comme le résume d’ailleurs au Guardian un Indien responsable de la sécurité dans une entreprise de construction : « Leur attitude [aux Qataris], c’est khalli balli : ça veut dire, “je m’en fous”. » On a à faire à un social washing destiné à nettoyer l’image du Qatar avant la Coupe du monde. Karl Olive s'est excusé uniquement parce que son argument fait tâche dans cette opération de propagande.


La réforme a donné le droit aux ouvriers de changer d’entreprise ou de quitter le pays à tout moment. Dans les faits l’habituelle confiscation du passeport par l’employeur rend cette avancée périlleuse. Les entreprises appliquent peu les nouvelles mesures, d’autant qu’il est interdit pour les travailleurs de se regrouper en syndicats.

En cas de décès, la famille du défunt se retrouve souvent endettée. Elle doit payer les frais d’agence qui restent à rembourser et qui ont permis au travailleur de partir pour le Qatar avec un permis de travail : c’est le système qatari du kafala. Ces frais sont souvent autour de 1 000 dollars, mais peuvent aller jusqu’à 4 000 dollars. Et aucune compensation financière n’est à espérer en cas de décès pour « mort naturel ». Si le décès est imputable au travail, alors une compensation peut avoir lieu. Cela représente 4 % des décès chez les travailleurs d’origine indienne selon l’article du Guardian déjà mentionné.


Mais même dans le cas d’une mort reconnue comme liée au travail, la compensation est difficile à obtenir. Suraj Bishwakarma est mort à 24 ans d’une chute depuis une tour où il travaillait. Son beau-frère, Samser Bahadur Kami, qui lui-même travaillait au Qatar, a alors fait plus de 100 allers-retours jusqu’à l’ambassade du Népal pendant six ans pour obtenir du Qatar une compensation pour sa famille. « Personne ne devrait avoir à souffrir comme moi. Ça aurait été mieux si j’étais morte avant, c’est l’inverse. Il est mort avant moi. » rappelait sa mère au Guardian. Dans ce cas, le défunt avait de la famille sur place, un beau-frère persévérant : l’ambassade était à 1h de route de son foyer de travailleurs.


On n’est plus au 19e siècle, et même dans un scénario où il y aurait eu 300 morts pour construire la tour Eiffel – ce qui n’est pas le cas – en quoi serait-ce acceptable ? La mort d’Angelo Scagliotti sur le chantier de la tour Eiffel a été compensée par Gustave Eiffel, qui s’était lui-même entretenu avec sa veuve, pour éviter tout scandale. La réalité est que dans le passé, il y a eu des accidents qui faisaient des milliers de morts. Alors quel exemple veut-il employer, Karl Olive ? La catastrophe de Courrières en 1906, qui a fait 1099 morts ? Elle n’a pas été perçue comme une fatalité mais comme un scandale. Cette catastrophe, comme d’autres dans l’histoire, a donné lieu aux plus grands mouvements sociaux et aux plus importants conquis sociaux de l’histoire française.


« Quand la FIFA a choisi le Qatar pour le championnat, elle connaissait ou aurait dû connaître les risques pour les travailleurs immigrés et leurs droits, étant donné l’historique misérable du pays en ce qui concerne les droits humains, et étant donné l’interdiction des syndicats.

Et pourtant elle a accordé la coupe du monde au Qatar sans placer aucune condition en ce qui concerne la protection des droits des travailleurs. »

Lettre d’Amnesty International et 8 autres organisations à la FIFA



Imagine-t-on un événement comme le Zevent ou comme un festival de musique avoir lieu alors que des milliers de travailleurs sont morts pour l’organiser ?




La coupe du monde qui doit se tenir cette année au Qatar, n’est pas, c’est le moins qu’on puisse dire, sous le feu des critiques. Les journaux sportifs mentionnent à peine la catastrophe humaine sur laquelle on tente de créer du divertissement. Ainsi, Hassan Al Thawadi, secrétaire général du Comité Suprême du Qatar, en charge de l’organisation de la coupe est abondamment cité par la presse ces derniers jours : « Nous nous sommes engagés à faire en sorte que cette Coupe du monde laisse un héritage social, humain, économique et environnemental véritablement transformateur et reste dans les mémoires comme un moment marquant de l'histoire de notre région. »

Ses paroles sont reprises sans aucune remise en contexte, par des journaux comme RMC ou Le Figaro. Tout au plus est mentionné une vague « polémique » lancé par des « ONG ». Au Qatar, s’opposer publiquement à la tenue de la coupe du monde est punissable d’une amende de 27.000 $. En France, non. Quelle est leur excuse ?

On parle de 15 021 morts, dont 6 500 directement liés à la Coupe du monde. Et d’un événement de divertissement sportif.


Imagine-t-on un événement comme le Zevent ou comme un festival de musique avoir lieu alors que des milliers de travailleurs sont morts pour l’organiser ? Même un seul mort ferait scandale, à juste titre, et donnerait lieu à un hommage appuyé.

N’oublions jamais qu’il s’agit de divertissement, et qu'un tel événement est fait pour prendre du plaisir. Mais ce qui déchire le cœur, c'est la souffrance de Sankar Yadav, de Sangita Kumari Yadav, de Madhu Bollapally, et des familles, des amis, des proches, des morts. Ils sont 15 021. Et c'est 15 021 histoires qu'on ne prendra jamais le temps de connaître. 15 021 noms qu'on ne connaîtra pas. Si on écoutait leur cri, si on voyait leur douleur, on n'oserait sans doute même pas envisager de participer à cet événement, de près ou de loin. Ce n'est pas leur cri, pourtant, qui nous rend sourd, ni leur douleur aveugle. C'est Karl Olive, journaliste sportif et maintenant député, qui fait, avec les journaux sportifs, comme si l'exploitation, la souffrance au travail, et la mort, c'est normal.


La France ne doit pas participer à cette coupe du monde. Les footballeurs nous doivent le courage et la responsabilité qui va avec leurs salaires. Aux haters qui diraient que ceux qui n’y vont pas ont juste peur de perdre, il faudrait répondre : nous n’y allons pas parce qu’on a peur de gagner. Quelle honte ce serait !



Commentaires

Qatar: pourquoi les excuses du député Karl Olive ne passent pas

Tu peux laisser un message. Ça fait plaisir !

Le 31 août 2022 à 16h18

Cette coupe du monde au Qatar est épouvantable.

T'as raison de rappeler qu'il y a des intérêts économiques, y compris français, en jeu. Ce qui rappelle aussi à quel point Vinci et les entreprises françaises font peu de cas du droit du travail et de la sécurité.

Si on était juste dans des petits arrangements pour que la coupe du monde n'est pas lieu aux US mais au Qatar, bon. Mais derrière ces arrangements, l'argent. Et l'argent rouge du sang des Indiens, des Népalais et des Bengalis.

J'espère que leur plainte résonnera et aboutira. L'argent de Vinci leur appartient. Le Qatar aussi. (95% des travailleurs au Qatar sont des étrangers.)

Le 15 août 2022 à 16h43

Les propos tenus par le député Karl Olive sont clairement contestables. Défendre la tenue de la coupe du monde au Qatar c'est aussi défendre des intérêts économiques et "l'image de la France" à l'étranger. Parmi ces intérêts économiques, il y a ceux des constructeurs comme le groupe Vinci, leader français du BTP, et qui est à l'origine de la construction d'un métro, de parkings souterrains et d'un hôtel afin de préparer cette coupe du monde. Le groupe Vinci a été perquisitionné au quartier général de l'entrepise situé à Rueil-Malmaison, suite à des accusations de travail forcé sur des chantiers au Qatar. Les associations Sherpa et le Comité contre l’esclavage moderne (CCEM), ainsi que des ouvriers indiens et népalais ont pu porter plainte avec constitution de partie civile

🙂

Vindicte - dernière mise à jour le 2 avril 2023

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