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La Vindicte ElliptiqueQuestions d'identités post-coloniales (1) - L'identité métisse

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Questions d'identités post-coloniales (1) - L'identité métisse

La Vindicte Elliptique🌎 Actu

Le 2 janvier 2022 à 4h48

Julien
Militant

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Article
Ce billet est le premier d’une série consacrée à l’identité. Il part d’un point de vue personnel, psychologique, vécu que je tente de replacer dans un contexte plus général, politique et historique. Mon discours s’inscrit donc dans cette époque post-coloniale marquée par des efforts et des échecs « d’intégration » et par des mouvements migratoires

Ce billet est le premier d’une série consacrée à l’identité. Il part d’un point de vue personnel, psychologique, vécu que je tente de replacer dans un contexte plus général, politique et historique. Mon discours s’inscrit donc dans cette époque post-coloniale marquée par des efforts et des échecs « d’intégration » et par des mouvements migratoires de plus en plus fréquents et inévitables et mêle des réflexions politiques aux questions existentielles sur la place et la position que je peux avoir ici, au Vietnam, en tant que con lai – métisse.

Du point de vue de la race comme identité sociale, c’est-à-dire concernant les structures personnelles et collectives liées aux représentations de race, je suis objectivement métisse car mes parents appartiennent à deux catégories ethno-raciales différentes. C’est cette définition de ce que c’est qu’être une personne métisse que j’adopte et qui permet de ne pas fondre dans ce terme toutes les personnes qui prétendent à un métissage culturel par le simple fait d’être intéressé ou exposé à une ou des cultures différentes de celle de ses parents. À une autre époque, dans un autre contexte, une telle union mixte aurait été perçue comme une trahison ou un acte de dégénérescence de la race. En Indochine et jusqu’à la fin de la guerre avec les Américains, les unions mixtes sont toujours du même type : c’est l’homme blanc occidental qui a des relations avec la femme autochtone. Pour certains rares français adeptes des théories de la pureté de la race une telle union vient souiller le sang français. Du côté des colonisés en revanche c’est davantage l’idée d’un pacte avec l’ennemi qui fait que les métisses sont perçus comme des traîtres.

Nous ne sommes plus à l’époque coloniale et le métissage n’est plus perçu de la même façon. Pour autant, contrairement à ce que beaucoup de progressistes aimeraient croire, le métissage n’a pas résolu et ne résoudra pas les problèmes de racisme.

Les races persistent comme réalités sociales, comme divisions au sein de l’humanité. Le métissage n’a pas fait disparaître les frontières, on ne peut pas affirmer qu’il les a renforcées non plus. Je me fais plutôt l’idée que le métissage a brouillé les frontières et ce brouillage autant que ce brouillard est à double-tranchant : si les races sont des entités sociales que les individus font exister alors l’atténuation de l’image peut avoir un effet d’atténuation du racisme, mais cet idéal trop naïf ne se manifeste pas vraiment dans la réalité ; au contraire nous assistons aujourd’hui à un déni de l’existence des différences sociales qui ne fait que renforcer celles-ci. Pour le dire autrement le risque est de faire jouer au métissage le rôle de preuve que les différences sociales auxquelles renvoient les races n’existent pas puisque celles-ci peuvent être dépassées par le mélange et l’union mixte. En tant que métisse j’ai un pied dans deux communautés. Je suis fier de mes deux héritages, des mes deux familles. Par contre il faut se prémunir du dangereux glissement qui consiste à passer de l’idée que le métissage est possible à l’injonction pour les individus à se mélanger.

Il faut en effet distinguer deux échelles : on parle d’un côté des personnes dites métisses car issues de couples mixtes (1) et les sociétés dites métissées car regroupant plusieurs communautés (2). Il faut faire attention à ne pas basculer d’un plan à l’autre. Par exemple pourquoi devrait-on promouvoir les couples mixtes au nom du multiculturalisme ? La question du vivre-ensemble (dont il faudrait trouver un autre concept) est primordiale mais elle n’est pas dépendante de la question des couples mixtes. Car si évidemment une société multiculturelle – c’est-à-dire au sens minimum où se côtoient plusieurs communautés – favorise les rencontres interindividuelles et les couples mixtes ce n’est pas en revanche le fait qu’il y ait des couples mixtes qui va influencer l’acceptation des différentes communautés au sein d’une société. Selon l’origine des parents, une dimension sera plus ou moins valorisée dans l’espace public et donc plus ou mois valorisée par l’individu. Pour le dire autrement le métissage ne suffit pas en soi à répondre au « racisme » visé en tant que concept si les inégalités économiques et sociales persistent. Nous y reviendrons. Pour l’heure j’aimerais faire part du point de vue individuel qui est le mien.

Si je parle d’identités post-coloniales ici c’est parce que mon existence et l’existence de la majorité des personnes métisses n’est pas un simple fruit du hasard. Si aujourd’hui l’immondialisation (au sens de Bernard Stiegler comme processus de globalisation libérale allant à l’encontre des intérêts des territoires, des localités, des populations – pour le dire vite) a conquis la planète et ce qu’on appelle pudiquement la « mobilité » n’a quasiment plus de limites, les rencontres de populations des siècles derniers sont indubitablement les effets de rapports de pouvoir entre des États, des classes, des colonies, des populations asservies. La traite négrière et la colonisation sont à l’origine de la majorité des grands flux migratoires passés. Les conflits idéologiques armés et la guerre économique généralisée continue aujourd’hui d’engendrer la fuite et l’exil.

Si mes grand-parents paternels sont venus en France après la victoire de Dien Bien Phu c’est parce qu’il y avait déjà du sang de colon français venu s’installer en Indochine depuis plusieurs générations. Au-delà de la couleur de ma peau, de mon ADN ou des traits de mon visage, être métisse c’est devoir accueillir ce double héritage dans la constitution de mon identité. Cela exige d’exprimer – au moins intérieurement – une certaine loyauté ou une certaine traîtrise vis-à-vis de Certains et vis-à-vis des Autres.

Si on regarde mon arbre généalogique comme on le fait pour déterminer la race aux États-Unis, on peut dire que j’ai du sang vietnamien. J’ai un côté de ma famille qui est français et un autre qui est vietnamien.

D’un point de vue social, on peut regarder où et comment j’ai été éduqué, en l’occurrence en France par les institutions française et dans un cadre culturel – institutionnel et familial – français.

La pensée républicaine universaliste tendrait à dire que depuis cette position historique je suis alors simplement français. Parce que j’ai la nationalité administrative et les codes culturels. Cela suffit-il à me définir ?

En prenant la question inverse je me demande alors en quoi suis-je ou ne suis-je pas vietnamien ?

La sociologie cherche à comprendre comment les groupes sociaux se constituent et l’identité individuelle est à mon sens l’appartenance multiple à différents groupes sociaux qui se superposent au mieux ou qui s’intriquent et se mélangent. J’ai une identité de genre, une identité qui est liée à ma classe sociale, qui peut être liée à ma religion, etc… à tous les groupes qui peuvent exister et valoir en tant qu’entités sociales.

Ainsi définir une partie de son identité c’est définir son appartenance à un groupe social. Je suis un homme cissexuel parce que je partage les mêmes avantages et privilèges que tous ceux qui sont définis comme hommes cissexuels.

Qu’en est-il alors de la vietnamité ?

Je suis Français et je n’ai pas de doute là-dessus, or si je suis venu au Vietnam c’est parce que l’identité n’étant pas exclusive, j’avais besoin de savoir à quel point j’étais « plus » que seulement Français ou Breton.

Ici, au Vietnam, la question de l’identité n’est pas aussi explosive qu’en France, en tout cas de prime abord. Il y a trois catégories fondamentales et l’on peut être : soit vietnamien, soit étranger, soit vietnamien de l’étranger. La maîtrise de l’usage de la langue est un critère infaillible de catégorisation même si tout le monde juge et est jugé en premier lieu sur son apparence. En tant que métisse ma place est clairement définie ici : je ne suis pas assez « typé » pour passer pour un Vietnamien pur.

On peut aborder la question de la reconnaissance : suis-je reconnu par les autres membres du groupe comme faisant partie du groupe ? Si je ne suis pas reconnu, c’est qu’une partie de mon identité est niée.

Je peux pour autant être reconnu par des pairs sans me sentir appartenir au groupe. C’est la question de la trans-identité qui est de plus en plus reconnue pour les questions de genre et de sexe mais qui ouvre le débat sur d’autres catégories, notamment la race (ceci demandera un long débat à un autre moment).

Je ne sais pas comment je me reconnais. C’est là l’ambiguïté des métisses.

Pour autant, cette question n’est pas le point final mais le début de la réflexion : sur quels critères est-on reconnu ? Sur des critères physiques, c’est indéniable. Sur des critères biologiques, extérieurs, car ils sont apparents, ils sont des signes que nous apprenons à reconnaître pour catégoriser les gens.

Sur des critères sociaux culturels également. Appartenir à un groupe c’est partager les mêmes codes, normes, valeurs. Et là se pose la question de savoir si ces codes, normes, valeurs peuvent être acquises a posteriori et indépendamment d’autres caractéristiques sociales ou historiques. Est-ce qu’une personne blanche peut revendiquer de partager la culture afro-descendante simplement par apprentissage extérieur, sans revendiquer aucun héritage ou patrimoine familial quelconque ? Là encore une certaine pensée humaniste universaliste tendrait à dire que toutes les cultures appartiennent à tout le monde, et que c’est par un brassage des cultures que nous mettront fin au racisme.

En revanche d’autres personnes – dont je fais partie – pensent que le racisme étant une structure sociale qui dépasse les intentions personnelles, toute la bonne volonté du monde ne peut effacer les rapports asymétriques de race et empêcher ce qu’on appelle l’appropriation culturelle (là encore, il faudra discuter de ça en particulier).

Cela me pose des questions pour moi aussi. Une culture est faite d’artefacts, d’objets concrets et de symboles, de biens immatériels. C’est un monde de sens, à la fois comme signification et comme sensation. Partager une culture c’est partager une manière de vivre, une manière de voir le monde et de s’y rapporter, d’interagir avec lui. Comme nous sommes des êtres sociaux, c’est à travers des codes, des normes, des symboles que nous interagissons entre nous et avec la « nature ». Or, ce que beaucoup ne peuvent pas comprendre en ce qui concerne la question de l’appropriation culturelle c’est que ce qu’on appelle culture à un moment donné est le fruit d’une histoire, l’addition d’une multitude d’histoires personnelles forgées dans des sensibilités, dans des réalités physiques et psychiques. La culture afro-américaine ne peut se comprendre sans l’expérience vécue et transmise de générations en générations par les esclaves et leur descendance aujourd’hui ghettoisée. Autrement dit la question est de savoir jusqu’où il est possible d’intellectualiser une « culture » et de l’extraire de son contexte qui est tout à la fois géographique, historique, sensible, politique, etc. c’est-à-dire donc incarné par certaines personnes dans certaines conditions.

Je peux apprendre la langue vietnamienne. Cela me donne accès à un univers de sens propre à une communauté. Et cette langue me donne accès aux œuvres et aux personnes qui portent une culture comme vision et perception du monde. Cependant j’ai des privilèges qui sont liés au fait d’être né à une certaine époque, dans un certain pays. De plus ces premiers privilèges de classe et de race (liés à ma nationalité) m’ont permis d’acquérir des compétences professionnelles et intellectuelles renforçant ma position privilégiée dans le monde. Le fait même d’apprendre le vietnamien me place dans une position encore plus avantagée puisqu’elle me donne davantage de pouvoir d’action sur les personnes pour qui je peux alors me faire comprendre et dont je peux décrypter les conversations. Cela veut dire que mes conditions de vie influent sur ma légitimité à m’approprier la culture vietnamienne (étant donné ce que j’ai dit plus haut).

Entre autres multiples questions vient également la question de mélange des cultures. C’est la question politique par excellence. Comment s’organiser ensemble malgré ou par-delà nos divergences d’être au monde ? La France est à la fois un bon et un très mauvais exemple à ce sujet. C’est un bon exemple car son triste passé impérialiste en a fait une terre de réfugiés, et c’est un très mauvais exemple car elle n’a pas su accueillir comme elle devrait toutes ces personnes qui forment une multiplicité sociale. L’enjeu est bel et bien de faire la part des choses entre ce qui a été fait, ce qui a été mal fait et ce que le gouvernement voudrait continuer à faire en termes « d’intégration ».

Dans un tout autre contexte et sur une période différente on peut se demander à quel point le Vietnam n’est pas lui aussi une terre de mélanges culturels. Entre la Chine, la France ou les États-Unis, entre les différentes ethnies, entre les différentes religions, ne peut-on pas voir un processus d’incorporation de l’altérité, de la diversité dans l’élaboration d’une identité vietnamienne ? Celle ci se revendique du chiffre symbolique des 54 ethnies. Il y a encore des identités régionales et ethniques très distinctes. Pourtant s’il y a bien une chose qui a justifié la lutte contre les Français et les Américains c’est bien l’idée d’une unification. Est-ce seulement l’idéal de l’ethnie Kinh majoritaire ou bien est-ce un sentiment partagé par tous ?

Ces questions d’identité prennent encore davantage de consistance dans la mesure où la diaspora consécutive aux différents moments des conflits est aujourd’hui large et organisée entre la France, le Canada, les État-Unis ou l’Australie pour ne citer que ces pays là. Comment se revendiquer d’une identité quand il n’y a plus la nationalité ? Cette question paraît triviale mais semble un point de départ à la question de la transmission d’un patrimoine et d’une culture dans des contextes où ce qui se transmet est marginal, ou considéré comme une sous-culture. Dans le cas du Vietnam plus particulièrement il y a un enjeu éminemment politique puisque la diaspora vietnamienne s’oppose au régime national existant.

Et moi je suis là, dans un conflit de loyauté puisque traversé par un sentiment d’imposture, en position de trahison de tous les côtés, avec toujours ces mêmes questions sans réponses définies ni définitives. L’histoire nous lègue un héritage lourd et douloureux, immense et fragile à la fois. Et nous devons apprendre à vivre avec, en supporter le poids tout en arrivant à nous en défaire petit à petit. La seule manière pour rendre notre fardeau moins lourd, c’est de le porter ensemble…

Le 18 août 2022 à 21h14

SébastienV
Sympathisant

2 sujets
8 messages

Article intéressant sur cette question de l'identité, qui relie à la fois les questions identitaires dans nos sociétés contemporaines et qui sont le fruit de la globalisation (héritage colonial ou autre), avec le vécu personnel de l'auteur. Cependant, au 4ème paragraphe, on parle de sociétés dites métissées car "regroupant plusieurs communautés". Cette définition de société métissée est à mon sens incomplète, car il y a différents degrés de métissage selon les pays, selon leurs propres histoires, partage de valeurs et traditions communes au sein de la population. S'il y a au sein d'un même pays des communautés distinctes, dans le sens où chaque communauté garde toujours ses propres coutumes (avec sa propre langue, religion ou traditions), ou que celle-ci appartient tout simplement à une ethnie différente qu'une ou d'autres communauté(s) vivant(s) dans le même pays, on pourrait difficilement parler de société métissée. À mon sens, une société largement métissée, est une société où l'ensemble de la population ne fait plus vraiment la distinction entre les différents individus habitants dans le même pays, c'est-à-dire que la population du pays est devenue largement homogène, suite à plusieurs générations de brassage des cultures et de mariages mixtes, où la majorité de la population a au moins 2 grands-parents ou 2 arrière-grands-parents issus de différentes ethnies. Il ne se pose plus la question de l'origine ethnique de chaque individu au sein même de la société, de même qu'une nouvelle identité commune s'est créé, avec des repères culturels forts. Pour citer quelques exemples, et qui me semblent pertinents, c'est le cas de plusieurs pays d'Amérique latine, comme le Brésil, l'Argentine, le Chili ou Cuba. Après dans ces cas-là, il peut y avoir différentes communautés, mais c'est la communauté qui représente la grande majorité de la population qui est largement métissée, même s'il y a des minorités ethniques. Au Chili, près de 52% de la population est d'origine espagnole ou européenne mais avec du métissage avec les populations autochtones dans près de 30% de la population, et avec une communauté indigène qui représente près de 11% de la population totale du pays et qui conserve encore ses propres traditions, culture et coutumes ancestrales. De même à Cuba, avec 65% de blancs, 23,84% de métisses et 10% de noirs. Et dans le cas de ces 2 pays, il se peut aussi qu'une personne considérée comme "blanc" aie un ancêtre d'origine autochtone ou esclave noir. Cependant, toujours dans le cas de ces deux pays, et c'est aussi le cas de l'Argentine et du Brésil, il y a des repères culturels qui ont permis de créer une identité commune à chaque société, malgré les différences de couleur de peau ou en rapport avec l'origine ethnique de chaque personne. Pour citer quelques exemples de repères culturels, en Argentine ça sera le tango (danse qui est le fruit du mélange de culture d'esclaves noirs et d'immigrants européens suite à plusieurs évolutions), ou le maté qui est une boisson d'origine autochtone et adoptée par les premiers colons espagnols et qui est aujourd'hui consommée par pratiquement tous les argentins. Et les repères culturels identitaires d'une société métissée ne se reflètent pas seulement à travers une danse nationale ou une boisson (autre exemple: le rhum à Cuba), mais aussi à travers la gastronomie au sens large, qui est le fruit de plusieurs influences, ou à travers une même religion, une fête (le carnaval au Brésil), un vêtement etc, où chaque individu appartenant à cette même société métissée, s'y sent représenté

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